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L’État, le plus grand ami des hyperriches ?


Lucien Tergal
Mercredi 30 Janvier 2019



L’idée selon laquelle L’État serait l’ennemi des fortunes privées est pour le moins à vérifier. Quelques exemples permettent de mesurer l’imbrication des intérêts privés et publique sur fond d’étatisme dominant.



L’État, le plus grand ami des hyperriches ?
Le dernier rapport d’Oxfam sur les inégalités dans le monde semble fondé sur une opinion répandue : la meilleure façon de lutter contre la pauvreté serait de développer partout une économie de services publics et l’État serait le meilleur garant de l’intérêt général et de la redistribution des richesses. Ne faudrait-il pas au contraire voir que les fortunes privées d’aujourd’hui proviennent d’une expansion continue de l’État et de sa volonté d’intervenir dans la vie économique ? C’est ainsi qu’un « capitalisme de connivence » s’est construit. En particulier en France.

Capitalisme de connivence

De nombreuses fortunes Françaises résultent d’une imbrication étroite entre décision publique et décision privée. Peu de grandes fortunes, en réalité, peuvent se prétendre étrangères à l’intérêt collectif, tant la bonne marche de leurs affaires dépend des bonnes grâces de l’État. Plus l’État intervient dans la vie publique, plus il se lie aux intérêts privés des hyperriches. Conséquence, plus l’État intervient, plus il biaise le marché et une caste se trouve en position de s’enrichir aux dépens des contribuables.
Souvenons-nous par exemple de la politique des « noyaux durs » qui s’est imposée avec Jacques Chirac. Sous l’autorité de l’État, cela signifiait que de grandes entreprises françaises choisies devenaient des actionnaires de référence et bénéficiaient ainsi d’une sorte de garantie de l’État. D’où cette tendance française à entretenir une confusion entre activités publiques et réussites privées.

Entreprises publiques et capitaux privés

Prenons les entreprises publiques contrôlées partiellement par l’État qui a priori ne produisent pas directement d’hyperriches. L’affaire Carlos Ghosn témoigne pourtant du fait qu’un dirigeant d’une entreprise détenue en partie par l’État peut bénéficier d’une rémunération astronomique.
Certes, les entreprises publiques ne permettent pas de s’enrichir directement. En revanche, des patrimoines ont pu exister sur la base d’une privatisation ou d’une action en lien avec une entreprise publique. 
La famille Bettencourt, par exemple, propriétaire de L’Oréal (et très liée depuis la Seconde Guerre mondiale au groupe Nestlé qui constitue une sorte d’actionnaire faisant contrepoids aux ambitions françaises sur l’entreprise), a bénéficié, à partir des années 70, de relations complexes avec Elf, pur produit de l’invention étatique française et longtemps désireuse de faire main basse sur l’entreprise. La stratégie de l’entreprise se développa dans une relation constante avec l’État. Ainsi, en 1973, L’Oréal acquiert la majorité de Synthélabo, qui sera plus tard fusionnée avec Sanofi, propriété d’Elf. Ces mouvements expliquent que L’Oréal détienne aujourd’hui 9 % de Sanofi, géant pharmaceutique qui n’est plus dans l’orbite de l’État. Comment alors séparer capitalisme privé et capitalisme public ?

La manne des marchés publics

Certains patrimoines dépendent des marchés publics. Exemple flagrant, le groupe Dassault, qui s’est largement enrichi grâce à la fourniture d’avions militaires à l’État et que l’État aide à exporter. 
Autre exemple, Synthélabo, devenu Sanofi, propriété partielle de la famille Bettencourt, qui fournit des médicaments remboursés par la sécurité sociale. Cela crée un rapport de force défavorable à l’État, notamment sur la question des vaccins obligatoires… N’oublions pas que les fournisseurs de l’État sont souvent plus puissants que l’État lui-même, pour le plus grand profit des hyperriches qui dirigent ces entreprises. 

Les subventions publiques

Les hyperriches peuvent aussi bénéficier directement de subventions de l’État pour s’enrichir. Le cas le plus emblématique de ce type est celui de Bernard Arnault, considéré comme l’homme le plus riche de France. Le point de départ de l’hyper-fortune de Bernard Arnault (jusque-là issu d’une famille simplement riche) vient de la subvention massive que l’État lui accordée à l’occasion de la reprise du groupe Boussac, en 1984, opération montée avec le soutien de deux entreprises publiques Elf-Aquitaine et Crédit Lyonnais... 

La protection réglementaire

L’État peut aider des hyperriches sans forcément les subventionner. Il peut aussi intervenir en leur faveur de façon plus discrète, par l’effet de la réglementation ou de la régulation. 
Sur ce point, le gendre de Bernard Arnault, Xavier Niel, constitue une figure intéressante. Cet homme d’affaires a bénéficié d’un formidable coup de pouce en 2009  pour développer sa fortune : l’attribution d’une quatrième licence de téléphonie mobile à Free, son entreprise de télécommunication. Cette décision en son temps fit l’objet de recours contentieux de la part des concurrents détenteurs du marché, mais en vain, l’autorité de régulation (ARCEP) ayant donné son aval. 
Cela peut se produire de manière négative : l’absence de réglementation dans le domaine des marges de la grande distribution peut ainsi être considérée comme la meilleure protection réglementaire accordée aux grandes chaînes de supermarchés ou d’hypermarchés en France. Face aux petits producteurs, cette force est déterminante.. Les hyperriches de la grande distribution, comme la famille Mulliez, peuvent remercier l’État d’avoir systématiquement évité de « protéger » les petits producteurs face à eux. 

Garantie de l’État

Une autre forme d’intervention consiste à bénéficier de la garantie discrète de l’État pour abriter ses investissements : l’État ne met pas d’argent directement dans une entreprise, mais il garantit qu’il interviendra en cas de faillite. Ce cas de figure est illustré par le sauvetage de Peugeot, en 2014. À cette occasion, l’État a apporté 800 millions d’euros pour sauver l’entreprise, quand la famille en apportait 100 millions. Ce genre d’exemple montre que même les familles les plus indépendantes de l’État peuvent sauver leur hyper-richesse grâce à la garantie du contribuable. 
Toutefois, bien sûr, il existe des fortunes qui se sont bâties seules. C’est le cas dans le domaine du luxe, d’Hermès ou Chanel, où la dépendance vis-à-vis de la puissance publique est beaucoup moindre. Quoi qu’il en soit, l’extension du domaine de l’État reste indissociable de la constitution de grandes fortunes privées.

L’histoire montrera que l’État n’est pas le plus grand ennemi des hyperriches, mais le plus grand ami.










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